Ami lecteur, je te soumets un extrait bien fendard du dernier brûlot paru, et immédiatement ostracisé, sur les coulisses des émissions de télévision. Michel Malausséna, « homme de l’ombre » de nombreuses stars du petit écran (Ardisson, Mireille Dumas, Collaro, Nagui…) y déverse sa bile après un quart de siècle de bons et loyaux services. A noter que le livre, « Les animatueurs », est très difficille à trouver en librairie, de même que les extraits sur le net… et non, ce n’est pas un hasard… dans ce monde tout petit du show-business, où quelques producteurs détiennent presque tout, taper sur quelques stars revient à se les mettre, quasiment, en intégralité à dos.
Nonobstant, voici le plus gros passage que j’ai pu trouver, consacré à l’élaboration de « Salut les Terriens » de Ardisson, qui devait à l’origine s’intituler « Salut les Martiens ». Vachement instructif.
– Si tu veux le convaincre de quelque chose, me dit un ancien, il faut d’abord se taper tout l’entourage, les uns après les autres, et les persuader de la pertinence de ce que tu souhaites lui faire accepter avant de le lui annoncer.
– Ah bon ?
– Sinon, ce que tu lui dis est confronté au point de vue de chacun et perd toute sa cohérence dans une macédoine d’avis disparates. Un jour, convaincu après une longue discussion et une somme considérable d’arguments indiscutables, il te dira sans équivoque : « OK, t’as raison. On fait comme ça. » Mais ça ne l’empêchera pas pour autant de revenir dès le lendemain sur ce qui s’est conclu la veille, comme si le débat n’avait jamais eu lieu : « On est en train de faire une grosse connerie, là. » Un pas en avant, deux en arrière. Or il faut au contraire beaucoup de sérénité dans ce métier. Ne pas réagir à chaque article de presse ni vouloir changer son cap à chaque critique, car ce serait comme skipper un bateau en tentant d’échapper à chaque vague. Impensable. Mais Thierry est si sensible à la critique !
La première gifle vient de l’intérieur. Partout, à qui veut bien l’entendre, Thierry clame que son remplaçant sur l’autre chaîne va se ramasser. Avec ce que lui-même investissait comme temps auparavant, avec toute la minutie qu’il s’évertuait à mettre dans son montage – et puis quoi, merde, il est Ardisson, non –, jamais personne, et surtout pas Ruquier, le pôvre (accent du Midi), ne pourra faire aussi bien que lui. Quant à l’autre, de Carolis, celui qui l’a poussé hors de la chaîne et à qui il en veut à mort, il va regretter de s’être débarrassé de lui. Respecter de Carolis, un ancien animateur reconverti en patron de chaîne, il ne faut quand même pas trop lui en demander. Pas à lui. Il lui écrit une lettre qu’il rend publique : « C’est un miracle que tu fusilles […], celui d’une équipe […] qui ira pointer aux Assedic… » Oui, ça on connaît la musique. « Mais il n’y aura pas de procès de ma part. Le seul procès dans cette affaire sera celui que te feront les téléspectateurs le premier samedi de septembre à 23 h 15. »
Eh bien non.
Pas de chance. Le sommet de l’inadmissible est atteint : Ruquier cartonne. Et qui plus est, Ardisson ne peut même pas médire ouvertement de lui parce qu’il a encore des intérêts sérieux dans cette émission, dont les droits lui appartiennent avec Catherine Barma. – Heureusement que je l’ai, ce Ruquier, je m’en félicite tous les matins en me levant. Je n’ai encore rien fait que j’ai déjà gagné ma journée. Ma meilleure affaire… Lui qui pensait pouvoir pérorer se ronge maintenant de l’intérieur. L’icône vacille sur sa stèle. Il a peur. Et si jamais il se rendait ridicule avec son concept tordu : « Après E. T. : T. A. ! Maiiisooon ! » Déjà que Barma, qui produit donc Ruquier, ne lui adresse plus la parole…
Du coup, il renonce au concept et fait retirer du générique les images tournées avec des oreilles à la Monsieur Spoke, ainsi que toute référence trop directe à l’espace interstellaire. À la fin, il ne reste plus que le titre : « Salut les Martiens ». Oui c’est ça, salut ! Il est vrai qu’il fallait se l’expliquer tous les jours, son concept, pour essayer d’y comprendre quelque chose. Même lui se mélangeait les pinceaux.
– Bon, donc : je sors de la capsule spatiale en Martien. OK. Mais qui m’accueille ? Largué, le concepteur. Alors, dans ce contexte, il y a des jours avec et des jours sans. Et plutôt des sans d’ailleurs, où tout ce que l’entourage peut dire l’énerve, presque tout le temps : Isabelle, par exemple. Neuf ans qu’elle est là pour lui. Journaliste, elle travaille, travaille, lui passe et repasse de nombreux coups de fil, lui adresse par e-mails quantité de résumés, de notes fournies, de fiches, de réflexions, lui donne de bons conseils, s’investit. Elle en fait beaucoup, énormément, elle en fait tellement – mais elle fait ça pour lui – qu’elle en fait peut-être quelquefois trop.
Et le trop, lui, tout à coup l’exaspère.
– Isabelle, c’est comme un chien qui commence à monter sur le lit, il faut le frapper tout de suite avant qu’il ne recommence.
Toujours sympa, Thierry, avec ses collaborateurs. Et Isabelle, qui s’érige elle-même en une sorte de souffredouleur officiel, offre son être en pâture à sa sauvagerie verbale. – Si ça l’amuse !
Moi, depuis le temps, ça ne m’atteint plus. Pourtant je l’ai vue pleurer, moi, Isabelle. Mais qu’est-ce que je fais là ? Quel est ce mauvais rêve ? Pourquoi ai-je quitté ma prairie ? J’y étais si bien. Déjà des gens se plaignent à moi. Bernard Werber, le roi des fourmis, aimerait bien être sûr que l’émission ne sera pas un détournement de son prochain projet de film dont il a fait part avec enthousiasme à Thierry, lors d’une précédente émission. Mais non, avec le rédacteur en chef, je vais le rassurer : de toute façon, le concept n’existe plus. Et puis, pour réussir les choses, il faut les incarner, pas les emprunter. Lentement, l’émission « de recul et de réflexion » se dirige vers un divertissement pur et simple, une mauvaise blague : « Les cinq rumeurs de la semaine : Claude Lelouch aurait même raté le dernier film de vacances avec sa femme…» Lévi- Strauss aux chiottes, et Sirius on se torche avec. Rapidement, hormis le chèque hebdomadaire, je regrette d’avoir accepté. Comment faire pour sortir de là, et quand ?
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